Forme dite non conventionnelle de participation politique, le pétitionnement est une des pratiques les plus anciennes et communes des démocraties libérales. Cependant, peu de travaux spécifiques lui ont été consacrés (toutefois : Neiman, Gottdiener, 1982 ; Contamin, 2001, 2013), en comparaison aux formes « conventionnelles » comme la participation électorale et partisane.
Le développement des technologies de l’information et de la communication (TICs) a toutefois contribué à lui donner une nouvelle actualité. Ces évolutions semblent en effet d’abord avoir facilité le recours à cette pratique comme en témoigne la prolifération de sites web consacrés au pétitionnement et des réseaux sociaux permettant un tel pétitionnement. Elles semblent aussi lui avoir donné une nouvelle efficacité à la fois sociologique et institutionnelle. L’e-pétitionnement a ainsi été admis par plusieurs « pays » (Ecosse, Pays Basque, Allemagne, Grande-Bretagne, France,...), ainsi qu’au niveau de l’Union européenne, comme un nouvel instrument institutionnel au service d’une démocratie supposée plus participative. Le pétitionnement, de pratique dépassée, semble être ainsi pour partie devenu l’un des sites privilégiés d’observation de l’émergence potentielle d’un nouveau rapport au politique et de nouvelles formes de participation politique.
Le projet vise précisément à faire de l’étude du e-pétitionnement l’occasion d’un questionnement à trois dimensions, pour partie autonomes mais aussi pour une large partie interdépendantes, qui correspondent chacune à une entrée disciplinaire : sociologique et politologique ; juridique ; et méthodologico-linguistique.
Le premier axe du projet est sociologique. Il invite à interroger les effets de l’émergence des nouvelles technologies en matière de fonctionnement démocratique, à partir du cas spécifique du e-pétitionnement. Y a-t-il substitution des unes aux autres ou continuité entre les unes et les autres ? Qui sont les e-pétitionnaires au regard des pétitionnaires classiques ? Comment se diffusent ces pétitions ?
Le deuxième axe du projet est juridique. Il s’agit en effet aussi de s’interroger sur la valeur juridique de ces pratiques et sur la possibilité même de leur accorder une valeur juridique. Alors que se multiplient les procédures qui sont supposées reconnaître un droit d’e-pétitionnement, comment le concrétiser, l’institutionnaliser ? Comment, aussi, concilier l’engagement personnel que suppose la signature d’une pétition et le principe de protection des données personnelles, notamment un nécessaire « droit à l’oubli » ?
Le troisième axe du projet est méthodologique. Face à la multiplication des données numériques (‘digital humanities’), le chercheur se trouve de plus en plus souvent démuni. Quels outils pourraient permettre de traiter de manière systématique les données issues de l’internet en n’en restant pas à une étude superficielle ou impressionniste, mais en entrant de manière rigoureuse dans la matérialité même des textes recueillis en vue notamment de rapporter ces textes à leur production et à leur réception ?
C’est précisément à l’ensemble de ces questions que ce projet souhaite se confronter en réunissant une équipe pluridisciplinaire et internationale constituée de politistes, de juristes et de spécialistes du langage et de l’informatique, et en partant d’une source inédite : l’accès que lui accorde le propriétaire d’un site d’e-pétitions à une base de données réunissant 11.000 pétitions et 700.000 adresses de signataires.
D’un point de vue scientifique, il s’agira ainsi, via ce projet, tout à la fois de mieux connaître ce que les nouvelles technologies font à la participation politique, de faire avancer la réflexion sur l’encadrement et les potentialités juridiques de ces nouvelles pratiques et de contribuer au développement d’outils informatiques qui permettent de faire face à l’abondance de données informatisées.