Le discours présidentiel de Néstor Kirchner, symbole de la consolidation démocratique argentine : entre tradition péroniste et nouvelles formes de politique

Morgan Donot
Doctorante Paris 3 – IHEAL – CREDAL

On peut discerner de nombreux héritages dans les discours de Néstor Kirchner, celui bien évidemment du péronisme historique et de la figure tutélaire de Juan Domingo Perón. Mais, ils mettent aussi en évidence une redéfinition des valeurs péronistes davantage centrées sur Evita et les Montoneros, afin de s’opposer clairement à Carlos Menem, président de l’Argentine de 1989 à 1999 et qui a transformé ce mouvement historique, en le faisant passer de la gauche à la droite de l’échiquier politique.
S’il est vrai que Néstor Kirchner est probablement le président péroniste qui a le moins revendiqué l’héritage de Juan Domingo Perón, il a indiqué que son projet devait être considéré comme la continuité de ceux des grands Hommes de l’Argentine. Dans un de ses discours de campagne pour les élections législatives de 2005, il a appelé les jeunes générations à « reconstruire le pays dont rêvaient San Martín, le général Perón et l’inoubliable, la guide spirituelle que sera toujours Eva Perón  ». Il reprend ici l’héritage des années soixante-dix, et celui symbolique d’Evita qui fut bien au-delà des conflits péronistes ou anti-péronistes, elle qui s’est transformée d’emblème en mythe .
De plus, Néstor Kirchner s’est posé en nouvel arrivant, en outsider : n’évoquant presque jamais son histoire politique au cours des vingt-cinq dernières années ni son expérience comme gouverneur de Santa Cruz, il semble avoir été, en quelque sorte, politiquement absent jusqu’à son élection, s’octroyant pour seul passé son appartenance à la « génération décimée », celle des jeunes mobilisés des années 1970 et persécutés par la dictature : « Nous faisons partie de cette nouvelle génération d’argentins » . Néstor Kirchner a donc réussi à se présenter à la fois comme le représentant d'une « nouvelle génération » et comme l'héritier d'une mémoire sociale que le ménémisme avait délaissée.
Mon corpus sera constitué par les quatre discours que le président Kirchner a prononcés devant le Congrès de la Nation Argentine, ces discours annuels où le président parle à la Nation étant le principal rituel de la démocratie argentine. L’analyse de ses allocutions devant l’Assemblée Nationale peut nous aider à comprendre les choix idéologiques et stratégiques de ce président, qui a permis la consolidation démocratique de l’Argentine et la construction d’une stabilité nécessaires au pays. Une comparaison des discours des différents présidents argentins depuis la transition à la démocratie, éclaire aussi  la manière dont Néstor Kirchner se démarque de ses prédécesseurs, tout en conservant des traits propres à l’éloquence politique. En effet, les différences dans l’utilisation du vocabulaire sont tellement marquées qu’elles renforcent la volonté de Kirchner de rompre avec une manière de dire la politique – et avec une manière de faire de la politique.
Dans un premier temps, on s’appuiera sur une analyse lexicométrique des discours afin de mettre en évidence les contrastes entre les différents présidents argentins qui se sont succédés depuis la transition à la démocratie — tout particulièrement Carlos Menem — et Néstor Kirchner. Dans un deuxième temps, une analyse du contenu des discours de Néstor Kirchner permettra d’en établir les traits idéologiques dominants, les représentations sociales,  et la corrélation avec les mythes fondateurs du pays.

Notre objectif est de montrer que cet « anti-Menem » s’est posé comme une alternative au « fantôme du passé » et ses discours lui ont permis de transformer son image d’homme politique non charismatique en celle d’un leader providentiel.


Cette présentation est issue de mon travail de thèse et d’une contribution présentée au colloque sur Les discours politiques en Amérique latine : filiations, polyphonies, théâtralités, organisé à l’université Paris-Est.

« Kirchner: “Nuestra lucha es la de San Martín, Perón y Evita” », Clarín, le 11 août 2005.

ORTIZ DUJOVNE Alicia, Eva Perón. La madone des sans-chemise, Ed. Grasset, Paris, 1995. Le 26 juillet 1952, toutes les radios suspendent leurs programmes, il est 20 h 25 quand une voix déchire le silence des transistors : « La chef spirituelle de la nation est passée à l'immortalité.» Dans les années 1970, les montoneros, jeunes guérilleros, chantent «Si Evita était vivante, elle serait montonera ». Dans les années 2000, c'est aux piqueteros, les hordes de chômeurs rejetés dans les banlieues des grandes villes, d'entonner, « Si Evita était vivante, elle serait piquetera ».

KIRCHNER Néstor, Discurso del Señor Presidente de la Nación ante la Asamblea Legislativa, en la Apertura de las 123e Sesiones del Congreso, Presidencia de la Nación, 25 mai 2003.